Télétravail : faut-il en finir pour relancer l’engagement et la croissance ?
Plus d’un Français sur quatre (26 %) est désengagé de son travail en raison d’un mauvais management du travail à distance selon l’étude Barco ClickShare, « Souffrir en silence » (2022). Trois ans après une bascule accélérée vers le télétravail massif, certains indicateurs en demi-teinte questionnent son efficacité afin de prévenir des effets négatifs plus globaux sur l’économie.
Télétravail : les signaux faibles d’une organisation en rodage
« Plus de 4.000 accords de télétravail ont été signés », explique Caroline Diard, enseignant-chercheur en management des ressources humaines et droit à l’ESC Amiens. Malgré les velléités de structurer le télétravail, le modèle reste en phase exploratoire. De plus en plus d’études alertent sur les risques économiques du tout (ou trop) distanciel. Dès 2020, une étude de l’université de Stanford, menée par l’économiste Nicholas Bloom, mettait en évidence la corrélation entre la baisse de la collaboration présentielle et un appauvrissement de l’innovation. Selon lui, l’adoption générale du télétravail génère un effondrement de la productivité mondiale et menace la croissance économique. Une étude israélienne menée auprès de deux cents startups rejoint cette conclusion : 79 % des entreprises interrogées estiment que le travail d’équipe et l’innovation ont été affectés par le télétravail.Télétravail : quatre effets néfastes sur la croissance pointés du doigt
–Une baisse de la performance collective : au sein d’AYMAX, ESN internationale, Yosra Daoussi, responsable RH, témoigne de cette inflexion : « Au début du confinement où nous étions en télétravail forcé, nous avons constaté un pic de rentabilité. Mais rapidement, la performance des équipes s’est affaissée. De manière individuelle, les salariés sont peut-être plus efficaces. Mais collectivement, c’est l’inverse : rien ne remplace la synergie créée lors d’interactions présentielles. ». En effet, près de 20 % des salariés français soutiennent que le télétravail a eu des répercussions négatives sur la collaboration. « Si le télétravail améliore la concentration, il nuit à la performance globale à cause du manque de collectif de travail », explique Caroline Diard.
La déperdition des compétences : « L’entraide de proximité offerte sur un plateau de travail est quasi absente à distance : il existe une grande déperdition des savoirs », souligne Jean-François Faure, président-fondateur d’AuCOFFRE, entreprise spécialisée dans l’achat et la vente d’or et d’argent. Dès les premiers mois de confinement, une baisse de la dynamique globale a été observée : « Les salariés étaient moins compétents car le partage de connaissances spontané, l’apprentissage au contact des autres, avaient disparu. Or, la complémentarité fait la force de notre collectif. ».
Une alerte sur la santé mentale des salariés : « Le télétravail à outrance ou forcé a provoqué beaucoup de burn-out, un sentiment d’isolement et de l’hyperconnectivité », explique Caroline Diard. 86 % des salariés souffrent d’un sentiment de surcharge numérique dû au télétravail. Certaines entreprises, à l’instar d’AuCOFFRE, ont même dû accompagner certains salariés souffrant du syndrôme de la cabane : « Certains avaient peur de revenir sur leur lieu de travail », raconte Jean-François Faure.
Un délitement du sentiment d’appartenance : le télétravail influerait négativement sur l’engagement collectif des collaborateurs, car « lorsque que les salariés sont trop longtemps hors de l’entreprise, il y a une inévitable déconnexion avec les valeurs. Par conséquent, la confiance s’effrite. Or, pour réussir, il faut que l’enjeu collectif dépasse l’enjeu individuel », explique Jean-François Faure.
Vers quel(s) modèle(s) converger pour renouer avec la croissance ?
Sans éradiquer le télétravail, différents modèles émergent pour limiter les effets collatéraux du télétravail à outrance. Chez Aymax, après de nombreux échanges avec d’autres entreprises, un modèle hybride avec deux jours de télétravail libres par semaine a été choisi. Résultat ? « La croissance est au rendez-vous. Mais surtout, les indicateurs humains sont au vert : spontanément, les équipes préfèrent se retrouver au bureau plutôt qu’en télétravail ! », explique Yosra Daoussi. Au sein d’AuCOFFRE, Jean-François Faure a conçu, avec ses équipes, une charte de télétravail « afin de modéliser et de normaliser le télétravail avec une journée par semaine hors du bureau, avec un certain nombre de règles à respecter ». Caroline Diard, qui a mené une étude sur le télétravail à isopérimètre avant et après le confinement, conseille deux jours de distanciel par semaine maximum ( À noter : le volet 2 de l’étude est non publié à ce jour).
Selon l’enseignante, il s’agit surtout de repenser les journées “ensemble”, en présentiel : « Les moments sur site doivent être “sanctuarisés” : toute l’équipe doit pouvoir se retrouver au même moment ». Une approche “synchrone” mise en place au sein de Réseau 137 by Alixio, cabinet expert en management de transition et recrutement de dirigeants : « Nous nous retrouvons tous au bureau du lundi au mercredi. Puis, les deux jours restants à distance sont ponctués par des rituels pour garder le lien », explique Muriel Bolteau, fondatrice et présidente du cabinet et directrice générale d’Haxio.
Au-delà du télétravail… repensons le travail
Hybride, présentiel ou distanciel ? Cette trichotomie semble obstruer un débat sous-jacent : « Le télétravail nous enjoint à interroger le sens du travail et la relation à l’autre », conclut Muriel Bolteau. Une maïeutique passionnante qui nous mènera peut-être à l’identification de nouveaux leviers d’innovation et de croissance.
Source : Maddyness.com