Aménager ses bureaux pour le travail hybride
De plus en plus d’entreprises, parmi celles qui proposent le télétravail, décident de repenser l’aménagement de leurs espaces de travail. Les raisons ? Réduire le nombre de mètres carrés occupés pour faire des économies, s’adapter aux nouvelles manières de travailler et créer notamment des espaces de collaboration pour les salariés. Cette réflexion sur la transformation de l’espace de travail doit se mener en coconstruction avec les employés, insistent les aménageurs, dont certains proposent des équipes de conduite du changement pour prendre en charge les projets de A à Z.
Comment va le télétravail ? Selon le baromètre Parella-CSA 2023, qui a interrogé 301 dirigeants d’entreprises de 50 salariés et plus, tous secteurs d’activité confondus, 53 % d’entre eux l’ont mis en place (pour une durée d’un ou deux jours par semaine pour 39 % d’entre eux). Depuis la fin de la crise sanitaire, la durée a évolué : 36 % des dirigeants disent l’avoir augmenté et 18 % affirment l’avoir réduit. Cette forme hybride de travail, avec une partie des salariés présents dans les bureaux et une autre partie à domicile, amène de plus en plus d’entreprises qui l’ont adoptée à réfléchir à l’organisation de l’espace. Quentin Audrain, le directeur général de Yemanja, spécialiste de la conception et l’aménagement de bureaux, confirme cette tendance. Les attentes des deux start-up de la tech pour lesquelles il travaille en témoignent. “Elles sont convaincues que le télétravail est une bonne chose, mais qu’il faut recréer des zones avec des outils performants qui vont permettre à l’équipe d’avoir envie de se retrouver et d’échanger dans de bonnes conditions, observe Quentin Audrain. Pour les équipes créatives, il peut s’agir par exemple de pièces où l’on peut se mouvoir aisément, avec de grands tableaux sur lesquels écrire, des panneaux en liège sur lesquels épingler des informations… On peut faire ce type de travail [créatif] en visioconférence, mais le dynamisme sera réduit.”
Une flexibilité qui ne doit pas rogner sur le confort
Harmony Group, à la fois groupe de conseil et fabricant de mobilier de bureau, a reçu une commande pour revoir l’aménagement d’une entreprise qui compte plus de 2 000 salariés. “Le bâtiment initial avait été pensé de manière très classique, avec des bureaux cloisonnés d’une à deux personnes et un grand couloir central. Les salariés pouvaient passer des journées sans se voir. L’entreprise a prévu une extension du bâtiment et nous a demandé de revoir l’intégralité de l’aménagement”, détaille Angélique Vedovati, planificatrice stratégique. Il s’agissait de faciliter la collaboration, de créer des espaces de travail plus informels, et d’augmenter le niveau de confort avec un traitement sur l’acoustique. “C’est une approche par usages que même des sociétés de type PME ou TPE nous demandent”, ajoute la spécialiste, dont les clients sont principalement en province.
“Les entreprises ne se lancent pas systématiquement dans une réduction drastique de la surface et des places.”
Avec la pandémie, les entreprises se sont retrouvées avec de l’espace non occupé. La solution a été soit de réduire le nombre de mètres carrés occupés, soit de réallouer les postes individuels à d’autres destinations. Le “flex office”, qui consiste à ne plus proposer de bureaux fixes aux salariés mais des bureaux interchangeables, n’est pas nouveau, mais la formule s’est développée. “Les entreprises ne se lancent pas systématiquement dans une réduction drastique de la surface et des places. On voit aujourd’hui des projets, avec 0,7 place par personne, ce qui reste très confortable, et d’autres qui vont passer à une proportion d’un poste de travail pour deux, auxquels il faut ajouter les places aménagées dans des salles”, relève Camille Rabineau, urbaniste de formation et fondatrice de Comme on travaille, un cabinet de conseil dédié à l’accompagnement humain des projets de réaménagement de bureaux. “Il existe toutes sortes de situations, mais si vous allez trop loin dans cette réduction d’espace et que vous êtes amené à étoffer votre équipe, vous risquez d’arriver à saturation. [Le choix du flex office] doit s’accompagner de réflexions sur l’organisation du travail”, précise-t-elle.
Le bureau, un incontournable de l’esprit collectif
Il faut trouver le moyen de recréer un esprit d’équipe que le télétravail risque de distendre, et de continuer de porter un projet d’entreprise. “Les chefs d’entreprise avec lesquels j’échange s’interrogent sur la productivité. Il ne s’agit pas de dire que les salariés travaillent moins, mais le fait de ne pas se croiser et de ne pas avoir de discussions informelles, de moins échanger d’idées nouvelles, peut engendrer une certaine lenteur d’exécution”, observe Quentin Audrain.
Il s’agit aussi de rendre le bureau plus attractif. “Plusieurs études ont montré que les salariés sont très productifs à domicile. S’il s’agit de venir au travail uniquement pour rester à son poste de 9 heures à 17 heures, on le fait aussi bien, voire mieux à la maison”, analyse de son côté Christophe Cote, fondateur d’Adopte un bureau, spécialiste à la fois du mobilier professionnel et de l’aménagement. D’autant plus que, à domicile également, l’agencement a évolué. Le responsable d’Adopte un bureau a d’ailleurs noté une explosion de la demande en mobilier ergonomique pour le télétravail sur sa boutique en ligne BtoC, qui représente aujourd’hui un quart de son activité.
Il faut trouver le moyen de recréer un esprit d’équipe que le télétravail risque de distendre, et de continuer de porter un projet d’entreprise.
Ce marché du domicile a fait un bond, a relevé l’enseigne But, qui a décidé de s’y lancer en proposant depuis mars 2023 une offre dédiée aux télétravailleurs comme aux professionnels (TPE, PME, professions libérales). Plus de 200 références ont été ainsi mises en ligne en mobilier de bureau, chaises, fauteuils et autres installations dédiées aux espaces de travail, ainsi qu’une solution d’agencement par des architectes spécialisés. “Depuis 2021, le marché du mobilier de bureau est sur une dynamique significative, avec une croissance de +9,2 % entre 2020 et 2021, et tous les voyants sont au vert”, indiquait l’enseigne lors du déploiement.
Indispensable concertation
Attention cependant aux généralisations. Il est difficile d’affirmer qu’avec le télétravail le bureau ne servirait désormais plus qu’à se rencontrer lors de réunions. “Le bureau post-covid est à n’en pas douter un lieu à forte valeur collective, car les échanges sont plus féconds avec une présence physique”, rappelle le livre blanc “10 idées reçues sur les espaces de travail”, publié par le groupe Kardham, spécialiste multimétiers de l’immobilier professionnel, sous l’égide de son directeur recherche et développement Nicolas Cochard. Cependant “les travailleurs de bureaux n’ont […] pas tous les mêmes tâches et la même part d’interaction dans leur journée de travail. […] D’autre part, même les travailleurs qui ont de forts besoins interactionnels ont une proportion non négligeable de leurs tâches qui relèvent de situations individuelles”. L’entreprise doit bien prendre en compte ces différents cas de figure pour que le réaménagement soit réussi. Tous les intervenants le disent : la transformation doit se faire en collaboration avec les équipes. “De plus en plus souvent, une conception collective est mise en place dans les entreprises, ce qui passe par un recueil des besoins, indique Nicolas Cochard. Tous les projets que nous menons sont réalisés dans un esprit de coconstruction avec les salariés.”
“Le bureau post-covid est un lieu à forte valeur collective, car les échanges sont plus féconds avec une présence physique.”
L’expert insiste sur la nécessité pour les entreprises qui réaménagent de mettre en œuvre une véritable politique de communication. “Il existe aujourd’hui des équipes de conduite du changement qui prennent en charge les projets d’aménagement de A à Z. Ce qui importe peut-être le plus n’est pas le résultat matériel final, mais la manière dont la transformation a été menée, relève l’expert. Les gens sont globalement capables de tout entendre à condition que cette communication soit claire, sincère et régulière, qu’ils comprennent la raison des modifications, ce qu’ils peuvent y gagner ou y perdre.”
Un préalable indispensable pour garantir que le bureau reste bien le lieu du collectif.
Anne Thiriet
Le télétravail est autorisé dans 53 % des entreprises en France
Comment les modes et les espaces de travail évoluent-ils ? Le baromètre Parella-CSA 2023 réalisé auprès de 301 dirigeants et 501 salariés d’entreprises de 50 salariés et plus, tous secteurs d’activité confondus, montre une réalité à deux vitesses concernant le télétravail. Près de la moitié des dirigeants (53 %) affirment autoriser le télétravail au sein de leur entreprise, pour une durée d’un ou deux jours par semaine pour 39 % d’entre eux. De même, 55 % des salariés disent y avoir accès, avec des disparités selon la taille, le secteur et la localisation des entreprises. Ainsi, 62 % des entreprises de plus de 250 salariés le proposent, mais seulement 38 % de celles qui comptent de 50 à 99 salariés. Le télétravail est présent à 61 % dans l’industrie et à 57 % dans les services et tombe à 41 % dans le commerce et le transport et à 44 % dans des secteurs comme l’administration publique. Selon 55 % des dirigeants, le télétravail apporte plus d’avantages que d’inconvénients.
Depuis la fin de la crise sanitaire, le nombre de jours de télétravail autorisé a évolué : 36 % des dirigeants l’ont augmenté et 18 % l’ont réduit. Quid du flex office ? 73 % des salariés qui en bénéficient le voient comme une bonne chose, parce qu’il favorise rencontres et échanges (36 %), qu’il donne plus de liberté et casse la routine (32 %), permet d’être plus efficace pour travailler en équipe et pour choisir sa place (25 %).
Quels impacts ces évolutions ont-elles sur l’immobilier d’entreprise ? 57 % des dirigeants considèrent la localisation comme un avantage concurrentiel. L’accessibilité reste un atout majeur pour les dirigeants et pour les salariés, mais chez les salariés la surface par collaborateur prend de l’importance. 34 % d’entre eux la jugent d’ailleurs insuffisante dans leurs locaux actuels. À l’avenir, les dirigeants comptent investir à 62 % dans la dimension écoresponsable de ces locaux et à 58 % dans la dimension qualité de vie au travail. C’est aussi une attente forte pour les salariés, à 74 % pour le premier point et à 81 % pour le second. Enfin le baromètre montre que la venue au bureau est avant tout motivée par le lien social et la recherche d’efficacité dans son travail.
Le boom du mobilier d’occasion ou reconditionné
Adopte un bureau repose sur une logique d’aménagement bas carbone. “Nous allons réaliser des aménagements permettant de réduire l’impact carbone de nos clients de 50 à 80 %, ce qui est garanti par une attestation d’impact faite par Ecodev, un partenaire spécialisé”, explique Christophe Cote, le fondateur. Le mobilier proposé est pour l’essentiel reconditionné. Le mobilier neuf qui peut être ajouté sera racheté par Adopte un bureau lorsque les clients n’en auront plus besoin. Les bureaux sont récupérés notamment auprès d’entreprises qui déménagent, et la société récupère les pièces détachées manquantes auprès des fabricants de mobilier afin de les reconditionner si nécessaire.
“La demande des entreprises pour ce type d’offre a connu une forte accélération durant la crise sanitaire car, en raison de difficultés d’approvisionnement, il fallait attendre six à huit semaines pour obtenir du neuf alors que le mobiliser reconditionné ou d’occasion était disponible beaucoup plus rapidement”, observe le responsable. L’écosystème s’est beaucoup développé. Des architectes d’intérieur et des aménageurs proposent également des aménagements durables.
Point non négligeable : les produits proposés sont aussi 30 à 50 % moins chers. Adopte un Bureau a même reconditionné 450 sièges dont le PMU disposait déjà mais dont il ne souhaitait pas se séparer pour son nouveau siège social. Allée du Bureau, un acteur du mobilier de bureau professionnel depuis 1995, récupère, restaure et revend aussi du matériel de bureau. La société a presque doublé la part de vente de mobilier d’occasion dans son chiffre d’affaires. Un meuble vendu sur deux est issu du réemploi ou d’un déstockage. Elle possède aujourd’hui trois showrooms, qui s’étendent sur un total de 1 300 mètres carrés à vingt minutes de Paris, et propose également des visites virtuelles interactives. Leasecom, premier acteur indépendant du leasing en France et Le Bureau Contemporain, spécialiste de la gestion des espaces de travail, développent de leur côté une offre de location. À la fin du contrat, si l’entreprise ne souhaite pas conserver les équipements, ils sont envoyés au centre technique de reconditionnement de Leasecom et 82 % des meubles reçus sont ensuite recommercialisés.
Les raisons principales d’aménagement et de réaménagement sont :
– Intégrer de nouveaux effectifs (66 %)
– Donner envie aux collaborateurs de venir au bureau (50 %)
– Mieux répondre aux besoins des collaborateurs en offrant des espaces plus variés (47 %)
Le taux d’entreprises disposant de bureaux fermés, individuels ou collectifs est de :
– 50 % avant le projet d’aménagement
– 32 % après le projet d’aménagement
Source : Enquête 2023 de Comme on travaille et Yemanja auprès de décideurs (40 réponses collectées et entretiens semi-directifs).
Source : Le nouvel Economiste