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Après le « travaillez d’où vous voulez », les entreprises embrassent le « travaillez quand vous voulez »

Cinq minutes de marche jusqu’à la plage, une demi-heure pour manger et le reste du temps passé à barboter dans l’océan Indien… La « pause midi » de Camille est à mille lieues – voire plus – du vacarme des cantines parisiennes. Responsable acquisition en CDI pour la start-up de création de contenus Mark.ai depuis 2022, la vingtenaire entend régler ses pendules à l’heure mauricienne durant les quelques mois qu’elle passera sur l’île : « Ici, les gens travaillent plutôt le matin. Le reste de la journée, j’aimerais sortir et découvrir le pays », prévoit-elle. Et ce, sans crainte de recevoir un appel urgent de sa collègue ou l’annonce d’une réunion d’équipe organisée entre deux portes.

Car au-delà de la possibilité donnée aux collaborateurs de travailler d’où ils le veulent, l’entreprise pour laquelle elle travaille a aussi fait le choix d’un fonctionnement qui commence doucement à convaincre, notamment auprès des PME : le modèle asynchrone. En indiquant à leurs collègues et supérieurs que leurs portes sont « ouvertes » (quand ils peuvent être sollicités), ou « fermées », les salariés sont libres de choisir en toute autonomie leurs horaires de travail, pourvu qu’ils bouclent leurs objectifs.

La « réunionite », le mal des entreprises

Avec, pour premier principe, la mise au ban de la « réunionite », dont 81 % des travailleurs estiment qu’elle engendre une perte de productivité, selon une étude du développeur de logiciels Atlassian auprès de 5 000 employés de bureau. « Lorsque j’étais aux États-Unis, mon patron était en Thaïlande. Avec le décalage horaire, il était impossible de se réunir en temps réel, alors on a remplacé tous les meetings par des partages de vidéo Loom, qui vont directement à l’essentiel », raconte Camille. Chez Mark.ai, la règle est connue de tous : « s’il n’y a pas plus de trois points à aborder, c’est qu’on peut faire autrement ».

Propriétaire de plusieurs outils permettant aux équipes de collaborer à distance, comme Confluence, Trello ou la solution de messagerie vidéo Loom, Atlassian affirme avoir supprimé environ 375 000 réunions rien qu’avec cette dernière. L’intérêt que les entreprises portent à ce nouveau modèle s’illustre dans son activité, en forte croissance avec plus de 300 000 clients dans le monde, dont GrubHub, LinkedIn, ou encore Uber qui souhaitent tous les trois faciliter le travail asynchrone dans leur organisation.

L’écrit pour compenser

Les avantages profiteraient aussi bien aux salariés qu’aux entreprises elles-mêmes. « Le nombre de candidats par poste a doublé et le taux d’acceptation des offres par ces candidats a augmenté de 20 %, se réjouit Alexis Gaches, directeur commercial chez Atlassian – qui a également adopté le travail asynchrone. Avant, nous recrutions surtout des Parisiens. À présent, nous avons des groupes plus mixtes et tout aussi talentueux. Au cours des trois dernières années, le nombre d’employés basés en France a été multiplié par 10 et plus de 90 % d’entre eux vivent en dehors de Paris ».

S’il n’y a pas de réunion pour communiquer, les entreprises carburent grâce à une forte culture de l’écrit. Des graphistes aux ingénieurs en passant par les consultants, chez Spark, une agence de conseil en marketing digita, les 45 collaborateurs doivent renseigner leurs projets, tâches ou « to-do lists » (listes de choses à faire) sur un seul et même logiciel.

« Au début, on peut avoir l’impression de perdre du temps à pianoter sur son clavier au lieu de se lever pour parler à son voisin, admet Baptiste Lefranc-Morin, cofondateur de la boîte. Mais sur la durée, il y a un gain réel en efficacité quand on réduit les interactions inutiles ». Surtout, ces bases de données permettront aux salariés d’éteindre leurs ordinateurs en pleine journée sans « prendre leur savoir et leurs informations avec eux », insiste Baptiste Lefranc-Morin.

Un temps précieux pour les parents

n temps accueilli avec enthousiasme, particulièrement chez les mères de famille, principales victimes du « travail invisible ». Responsable produit chez Plume, une entreprise dédiée à l’apprentissage de l’écriture par les enfants, Juliette prends « les tâches qui demandent beaucoup de concentration le matin » et garde le reste durant l’après-midi. « Ça laisse le temps de prendre des rendez-vous chez le médecin ou de faire face aux imprévus », explique-t-elle.

Les entreprises ne s’interdisent pas pour autant de faire des points de temps à autre, quand cela semble nécessaire. « Chaque trimestre, on définit les objectifs selon la méthode OKR (méthode de gestion utilisée pour définir et faire le suivi d’objectifs et résultats), explique Juliette. Chaque résultat à atteindre est découpé en’milestones’qui sont des avancées plus opérationnelles. Bref, au sein des différents pôles, tout le monde sait ce qu’il a à faire et peut ensuite continuer de son côté ».

« Je n’ai jamais autant échangé avec mes collègues »

Chez Mark.ai, les équipes utilisent notamment Gather, une sorte de bureau virtuel « à l’entrecroisement entre les Sims et Minecraft », rigole Camille. Et pour maintenir le lien social pour les volontaires, des applications comme Donut peuvent être intégrées à la messagerie Slack. « De manière aléatoire, l’outil lance des réunions avec une personne au hasard de l’entreprise, explique-t-elle. C’est l’occasion de retrouver un peu les conversations de machine à café ».

« Cela peut paraître contradictoire mais je n’ai jamais autant échangé avec des collègues, depuis que j’ai intégré cette entreprise où tout le monde travaille de manière asynchrone. Avant je travaillais dans une tour à la Défense et même si j’étais en présentiel, j’avais beaucoup moins d’interactions avec mes collègues », s’étonne Alexis Gaches.

Majoritairement adopté par les start-up et petites entreprises, le travail asynchrone, véritable preuve de confiance des patrons envers leurs collaborateurs, doit encore faire ses preuves dans des organisations plus grandes et donc plus difficiles à gérer.

Source : Challenges