Passer de la sensibilisation à la transformation écologique des métiers, le nouveau défi RSE
Former leurs salariés aux compétences de demain sur la transition écologique, c’est le difficile défi que doivent relever les entreprises. Mais pour l’heure, beaucoup se contentent de dispositifs de sensibilisation courts et superficiels, malgré les attentes des salariés.
Comment faire enfin émerger les compétences essentielles à la transition durable dans les entreprises ? C’est une question fondamentale qui agite de plus en plus les institutions économiques depuis quelques semaines. En février, le Réseau Emploi Compétences (REC), l’observatoire national des compétences en France, publiait sa feuille de route, avec un axe de travail principal pour 2024 : la transition écologique. Le Secrétariat Général à la Planification Ecologique publiait quelques semaines plus tard sa “Stratégie Emploi et Compétences”, et évaluait que 8 millions d’emplois en France seraient directement concernés par la planification écologique.
“On entre dans l’ère où tous les métiers vont devoir intégrer la durabilité dans leur périmètre de poste et leurs compétences. Tout va évoluer” explique Marie-Lys Le Buhan, experte de la formation à la transition écologique en entreprise chez Les Nouveaux Géants, organisme de formation spécialisé dans les compétences durables. Les enjeux de durabilité, qui ont été longtemps cloisonnés aux professionnels de la RSE et du développement durable, s’invitent désormais dans l’ensemble des métiers : RH, ingénierie, conception, achats, finance, marketing…
Des dispositifs de sensibilisation répandus mais insuffisants
Dernier exemple en date du basculement en cours : la Fédération Syntec vient de signer un accord cadre avec l’Etat sur la formation des ingénieurs aux enjeux écologique et de l’éco-conception. “Depuis quelques années, les choses s’accélèrent et de plus en plus d’entreprises ont conscience du besoin de former leurs salariés aux enjeux de durabilité” explique de son côté Caroline Renoux, fondatrice et CEO de Birdeo, cabinet de recrutement spécialisé dans les métiers à impact. Mais pour l’heure, beaucoup d’entreprises semblent avoir encore du mal à faire ce virage en matière de gestion des compétences.
Ainsi, selon Caroline Renoux, beaucoup d’entreprises misent encore sur des programmes de sensibilisation courts, sous forme d’ateliers ludiques, de quiz, qui dispensent seulement des connaissances basiques sur le climat ou la durabilité. C’est l’exemple de la Fresque du Climat, cet atelier-jeu de cartes qui rencontre un immense succès dans les entreprises. “Il y a toujours des gens qui prétendent qu’ils forment leurs salariés à leur RSE ou au climat, car ils sont en train de dérouler leurs Fresques partout” explique ainsi Caroline Renoux. Ces dispositifs de sensibilisation, s’ils peuvent être utiles, ne forment pas aux compétences concrètes de la durabilité. Marie-Lys Le Buhan y voit même un “danger” : “il y a cette idée que les microlearning de quelques heures permettent de cocher la case et de dire “oui, on a formé tout le monde”. C’est évidemment insuffisant. Comment voulez-vous apprendre à mettre en place un cahier des charges d’achats responsables avec des formations de 1 h à distance ?”
Le manque d’engagement des DRH
Plusieurs arguments sont avancés pour expliquer ce retard des entreprises françaises. “Les directions ne sont pas toujours assez embarquées, et n’ont pas toujours de feuille de route ou de budget suffisant”, avance Marie-Lys Le Buhan. D’autre part, le manque d’engagement des directions des ressources humaines (DRH) est pointé du doigt. Selon une étude menée par Birdeo, l’ESSEC et le cabinet de conseil en management Bartle, près d’un sondé sur deux n’a reçu aucune aide de sa DRH pour s’outiller en matière de compétence de durabilité. “C’est hyper récent que les DRH nous sollicitent. Elles commencent tout juste à comprendre qu’elles doivent conduire le changement” explique Caroline Renoux.
Beaucoup d’entreprises manquent aussi de visibilité sur les compétences à développer, ont des difficultés à évaluer les impacts de la transformation écologique sur les métiers et à trouver les formations adéquates. “Quand on demande aux managers des branches quelles formations ils veulent en lien avec la durabilité, souvent, ils ne savent pas. Ou alors ils pensent être déjà formés et sensibilisés” commente Caroline Renoux. Sans compter que les organismes de formations ne sont parfois pas à la hauteur : “Les offres de formation ne sont pas toujours adaptées aux réalités du terrain, et il y a aussi une tendance à dire “y’a qu’à faut, qu’on”, ce qui ne correspond pas à la complexité des enjeux” ajoute-t-elle.
Une demande de formation des salariés
Il y a pourtant une vraie volonté des salariés : selon l’étude Birdeo / ESSEC / Bartle, 87% des professionnels interrogés considèrent que leur métier est très concerné par les enjeux de durabilité, et 62% voudraient des formations supplémentaires spécifiques à leurs métiers sur le sujet. Ils sont donc 75% à se former via des initiatives personnelles, parfois faute de démarche structurée dans leur entreprise. Beaucoup de professionnels se tournent aussi vers la formation en “peer learning”. Comprendre : l’apprentissage entre pairs.“On voit vraiment monter en puissance ce type d’apprentissage, au sein des réseaux de professionnels, dans les groupes de travail, entre personnes confrontées aux réalités du terrain, avec du test and learn, de l’échange de bonnes pratiques” explique Caroline Renoux.
La réglementation commence également à faire bouger les lignes. “La CSRD, par exemple, qui vise à renforcer le reporting environnemental et social des entreprises, oblige les grandes entreprises à s’investir pour transformer leurs compétences” analyse Marie-Lys Le Buhan. “Outre les réglementations RSE qui sont essentielles, l’enjeu est aussi de changer la façon dont on mesure la performance des différents métiers, en intégrant les dimensions extra-financières. C’est une révolution conceptuelle”, conclut Caroline Renoux.
Source : Novethic