PLU bioclimatique : la chasse aux bureaux parisiens est ouverte
Dans sa nouvelle étude, Knight Frank étudie les effets possibles du PLU bioclimatique pour le marché immobilier parisien. Le conseil souligne notamment que la volonté de réduire la part de bureau dans la capitale commence déjà à entraîner des conséquences sur le marché immobilier.
Au terme de deux ans d’études et de tractations, le projet du nouveau plan local d’urbanisme (PLU) dit bioclimatique de la capitale a été arrêté par le Conseil de Paris le 5 juin dernier. Destiné à définir la trajectoire de l’évolution urbaine de la ville pour les 15 à 20 prochaines années, ce document fait de l’adaptation de la ville au changement climatique un enjeu majeur, renforçant les mesures précédemment adoptées au moment de la dernière révision, en 2016. La rupture est en revanche notable sur le sujet de la construction, qui devra être l’exception, tandis que la transformation et la réhabilitation deviendront la norme. La portée des dispositions visant à accroître l’offre de logements abordables a également été amplifiée, s’accompagnant d’une volonté affirmée de réduire la place des bureaux dans la capitale.
Le conseil en immobilier Knight Frank fournit une première analyse – qui sera amenée à évoluer au gré des fluctuations du contenu d’ici son approbation prévue d’ici la fin de 2024 ou le début de 2025 – sur les conséquences des dispositions du PLU.
La chasse aux bureaux ouverte…
« Le PLU bioclimatique met clairement en lumière la volonté de la majorité municipale de réduire la place des bureaux à Paris, souligne d’entrée Vincent Bollaert, CEO de Knight Frank France. Pour ce faire, une nouvelle disposition sera mise en œuvre : la servitude de mixité fonctionnelle ». Cette mesure prévoit que, dans le secteur géographique de « développement de l’habitation », les immeubles tertiaires de grande taille (< 4 500 m²) devront ainsi prévoir l’intégration d’une part minimale de logements (11 %) à l’occasion d’une cession, d’un changement de destination ou d’une restructuration lourde.
En outre, pour satisfaire ses objectifs de création de logements abordables, la Ville compte également mobiliser le parc existant au travers d’un millier d’emplacements réservés (les fameuses « pastilles »), qui fixent une obligation de construction de logements abordables sur le nombre total de logements créés, en précisant la part de locatif social, intermédiaire ou de logement en bail réel solidaire (BRS).
Les immeubles tertiaires de grande taille devront ainsi prévoir l’intégration d’une part minimale de logements à l’occasion d’une cession, d’un changement de destination ou d’une restructuration lourde.
Sur le millier d’emplacements réservés pour le logement à Paris, plus de 600 ont été ajoutées à ceux du précédent PLU. Il s’agit de logements, d’hôtels, de parkings et de garages, de commerces ou encore d’écoles privées. Cependant, une large part concerne des actifs de bureaux, en particulier dans l’ouest parisien. « Sur les 249 pastilles recensées dans le QCA, 85 % portent ainsi sur des bureaux ou des actifs mixtes à dominante tertiaire » précise David Bourla, directeur des Etudes chez Knight Frank France.
Jusqu’à présent, les transformations de bureaux en logements à Paris avaient très majoritairement été réalisées sur du foncier public. Lors de la révision du PLU en 2016, la Ville avait déjà accru la part des propriétaires institutionnels sur le total des immeubles « pastillés ». Le nouveau PLU bioclimatique les cible encore plus largement, en particulier dans l’Ouest où se concentre la moitié du parc de bureaux existant de la capitale.
« Outre quelques privés, propriétaires publics et congrégations, les propriétaires d’actifs pastillés sont le plus souvent des institutionnels français tels des mutuelles, assureurs et caisses de retraite, historiquement très présents dans le QCA, des SCPI/OPCI ainsi que des fonds étrangers, allemands notamment. Certains de ces investisseurs ont été frappés lourdement, comptant parfois près de dix immeubles pastillés ou plus. Les pastilles font par ailleurs la part belle à certains des axes et quartiers les plus onéreux, comme les avenues Kléber et Iéna dans le 16e, l’avenue Hoche et certaines rues du Triangle d’Or dans le 8e ou encore la rue de la Paix dans le 2e. L’impact sur la valeur du patrimoine tertiaire parisien de certains propriétaires est donc considérable au regard du prix des bureaux dans le QCA qui, en 2022, atteignait en moyenne près de 22 000 €/m² », poursuit David Bourla.
… alors qu’ils sont déjà trop peu nombreux
Si l’exécutif municipale cherche avant tout à trouver des débouchés pour répondre à la crise du logement, en réduisant par la même occasion l’empreinte du tertiaire à Paris, le parc de bureaux y a pourtant très peu évolué ces dernières années selon Knight Frank. « La taille du parc de bureaux a certes augmenté de 10 % en moyenne à Paris entre 2000 et 2023, mais du fait essentiellement des développements réalisés dans les grandes ZAC, Nord-Est et Rive Gauche notamment, expliquant la hausse de 33 % et 37 % du parc dans les secteurs de Paris 12/13 et Paris 18/19/20. En revanche, les surfaces de bureaux sont restées stables dans le QCA et ont même légèrement diminué dans certains arrondissements de l’hypercentre » note David Bourla.
Dans le même temps, la demande des entreprises pour des bureaux parisiens s’est amplifiée, principalement dans le QCA, dont le marché a profité du dynamisme de secteurs d’activités attachés au quartier d’affaires (luxe, avocats, finance, coworking, etc.) et de la recherche accrue de centralité depuis le déclenchement de la crise sanitaire. Ce contexte explique la pénurie actuelle de surfaces de bureaux dans la capitale, à l’exception du nord-est de la ville où la vacance frôle les 10 %. En moyenne, ce taux atteint 3,7 % dans la capitale, moins de 3 % dans le QCA et est quasi nul dans certains secteurs (1,7 % dans Paris 5/6/7). Ainsi, le marché tertiaire parisien est nettement sous-offreur, quand le taux de vacance moyen de l’Ile-de-France atteint près de 8 %. L’écart est encore plus grand avec certaines grandes métropoles mondiales, comme Londres dont le taux de vacance frôle les 10 %, ou Manhattan où il se rapproche des 20 %.
Des incidences déjà observées sur le marché de l’investissement
Traditionnellement prisé pour sa stabilité, Paris voit son statut de marché refuge fragilisé par le flou entourant le nouveau PLU et les dispositions portant sur les bureaux en particulier. Un flou qui s’ajoute au contexte où l’activité est déjà fortement ralentie par la remontée des taux d’intérêt. Conséquence : au 1er trimestre 2023, un peu moins de 850 millions d’euros ont ainsi été investis sur le marché parisien des bureaux, contre 1,5 milliard en moyenne au 1T entre 2020 et 2022.
Un peu moins de 850 millions d’euros ont ainsi été investis sur le marché parisien des bureaux, contre 1,5 milliard en moyenne au 1T entre 2020 et 2022.
Parallèlement, quelques immeubles mis sur le marché, qui ont été pastillés, subissent une décote potentiellement importante, ce qui mécaniquement ralentit, voire suspend, certaines opérations de cession. « À l’heure où la qualité environnementale des actifs est un critère de plus en plus discriminant pour les investisseurs, le marché parisien pourrait également être pénalisé par le ralentissement du verdissement du parc tertiaire. De fait, les contraintes imposées en cas de restructuration lourde d’un immeuble pastillé ou potentiellement concerné par la servitude de mixité fonctionnelle pourraient inciter les propriétaires de bureaux concernés à se contenter de travaux légers qui ne leur permettraient pas d’en optimiser la valeur locative », alerte Vincent Bollaert.
À l’inverse, les immeubles non pastillés, non soumis à la servitude de mixité fonctionnelle et récemment restructurés pourraient voir leur valeur augmenter. En effet, le ralentissement des lancements de projets de restructuration et la diminution du stock de bureaux souhaitée par l’exécutif dans les secteurs les plus prisés de la capitale pourraient accroître la pénurie de l’offre et accentuer la hausse des valeurs locatives. Un plus grand nombre d’entreprises pourraient dès lors avoir du mal à se loger à Paris, conduisant certains utilisateurs à chercher des bureaux au sein de communes de périphérie plus abordables, dans l’Ouest notamment.
« La révision du PLU parisien est emblématique des nombreux défis que doivent affronter les grandes métropoles, soulignant la difficulté à faire concilier intérêts publics et privés, dimensions locales et internationales, et enjeux économiques et écologiques », résume Vincent Bollaert. Si les intentions de l’exécutif sont louables sur le principe, gare à ne pas brusquer les acteurs en les décourageant de réhabiliter des actifs qui en ont besoin et à ne pas creuser encore plus un fossé entre le stock prime toujours plus prisé et des bureaux laissés en déshérence faute d’intérêt à les restructurer.
SOURCE : REPUBLIK WORKPLACE